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Texte original quelque peu remanié ; auteur et document original : lien en bas d'article
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Les déportations de civils commencent en octobre 1916...
Du côté allemand, la mise en place des déportations a une visée essentiellement économique. Outre l’anéantissement de l’économie belge et donc l’élimination d’un marché concurrent, l’objectif principal est de pallier le manque de main-d’oeuvre en Allemagne. En effet, vers 1916, nombreux sont les ouvriers allemands envoyés sur le front pour y remplacer les soldats tués au combat.
Dans ces conditions, la déportation d’ouvriers belges permet à l’activité industrielle allemande de se maintenir. Il s’agit donc là de déportés ‘économiques’ 25. Le recrutement de ces déportés va être systématiquement organisé.
Le chiffre du contingent est fixé, dès le départ, par l’autorité allemande. Il s’élève à 350 à 400.000 hommes.
La population visée, exclusivement masculine, se situe dans une tranche d'âges comprise entre 17 et 55 ans.
Les provinces du Hainaut et des deux Flandres vont, les premières, subir cette situation.
Par la suite, le phénomène s’étendra aux autres provinces. Les levées de civils se font aussi bien dans les villages que dans les villes.
Généralement, la population est informée par voie d’affiches qui annoncent l’âge des personnes convoquées, ainsi que le lieu et l’heure de la levée. Celui qui ne se présente pas aux autorités est emmené de force en Allemagne ; il doit en outre payer une lourde amende.
Seuls les ecclésiastiques, les médecins, les avocats et les instituteurs sont exemptés.
Au jour prévu, les hommes sont triés avant d’être envoyés vers les usines allemandes.
Ces déportations, qui constituent une violation des règles internationales de droit et d’humanité (Convention de la Haye), susciteront des protestations internationales extrêmement virulentes.
Au niveau de l’épiscopat belge, la réaction ne se fait pas attendre non plus, puisque dès novembre 1916, le cardinal Mercier pousse son "cri d’alarme". Malheureusement, les nombreuses marques d’indignation ne mettront guère fin aux déportations.
Dans l’ensemble, il est malaisé de vouloir saisir l’ampleur de ces déportations au niveau local. Seuls demeurent quelques témoignages. Dans son Rapport sur la situation de l’église de Rulles, pendant la guerre, le curé du lieu, l’abbé Lemaire, résume ainsi la situation : “Le 2 décembre 1917, dix-sept jeunes gens furent déportés à Cassel, où ils subirent toutes sortes de vexations par suite de leur refus de travailler pour l’ennemi. Aucun mort, trois ou quatre malades. L’armistice mit fin à leurs travaux forcés”.
A côté de cela, certaines entités semblent avoir été plus touchées par les déportations : “Habay-la-Neuve est une des localités du canton d’Etalle qui ont le plus souffert de la déportation. Une centaine d’hommes furent déportés, quatre trouvèrent la mort dans les geôles allemandes”.
Toutefois, ces chiffres restent vagues et difficilement vérifiables (aucun nom n’est cité). Ils sont en tout cas insuffisants pour évaluer le nombre global de déportés dans
les communes de la région. Quoi qu’il en soit, la peur de la déportation, elle, reste perceptible jusque la fin de la guerre. En outre, le Sud Luxembourg, comme le Hainaut et les Flandres, est soumis à un régime d’occupation militaire drastique, puisqu’il fait partie de ce que l’on appelle communément les ‘zones d’étapes’.
Peu à peu, ces années noires, interminables, finissent par s’écouler jusqu’à la libération tant attendue : “Lors de la traversée dans les villages, les soldats alliés apportèrent avec eux cette même joie exubérante, Rulles, Houdemont qui avaient tant souffert de la folie allemande purent enfin retentir de cris de joie”.
Enfin, pense-t-on, la guerre est terminée !
Pourtant, celle-ci – qu’on le veuille ou non – a fortement marqué les mentalités, engendrant au passage une ‘culture de guerre’ avec laquelle il faut désormais compter. Dans cette optique, la fin du conflit ne constitue pas du jour au lendemain un ‘retour à la normale’. Tristesse et joie sont mêlées. Au delà des dégâts matériels ou économiques, c’est tout un ordre social qui a été bouleversé. De fait, les hommes qui sont morts étaient agriculteurs, bûcherons, boulangers,… Certains ne peuvent être remplacés. Quant à ceux qui reviennent, sans doute leur faut-il un temps de ‘réadaptation’. Qui plus est, tous ne pourront pas réintégrer leur place; c’est le cas des nombreux mutilés ou encore de quelques déportés qui ne rentrent chez eux que pour mourir.
Partout, le deuil n’a cessé de frapper. Si des millions d’êtres humains sont morts, ceux qui leur survivent n’en sortent pas indemnes. Des prisonniers, des combattants, des déportés reviennent. Mais tout est dépeuplé. Atteints dans leur chair, dans leur coeur, soldats et civils demeurent comme hébétés face à la douleur. A ce drame collectif qu’est la guerre, se superposent les deuils individuels. Chacun pleure un mari, un fils, un ami, un frère, un amant…
Même terminée, la guerre est là. En témoignent les monuments aux morts…
Bouleversant la donne d’un ordre jusque-là bien établi, la Grande Guerre, en engendrant des situations inhabituelles, souvent tragiques, va inéluctablement créer des catégories nouvelles. Combattants, déportés, victimes civiles, quels sont le statut et la place accordés à ces rescapés dans le monde d’après-guerre ? Lorsqu’ils sont morts, quelle idée la société des années vingt et trente se fait-elle du soldat, du déporté, du fusillé ? Tenter de tracer les portraits des différents protagonistes – se trouvant à la fois sur les monuments aux morts, dans les discours qui les accompagnent, à travers la presse relatant les cérémonies –, bref, reconstituer la manière dont ces acteurs sont perçus, c’est en même temps mettre le doigt sur les conceptions, les mentalités de l’époque et peindre ‘l’après’ d’une guerre qui reste douloureusement présente.
Dans les communes gaumaises et ardennaises, il arrive que certaines plaques ou monuments aux morts de 14-18 soient dédiés à un seul type de personnage. Soit parce que ce sont les seuls administrés morts durant la guerre (seuls des noms de combattants sont repris sur les monuments de Buzenol, Léglise, Mellier…), soit parce que la catégorie en question désire son propre mémorial. Néanmoins, de tels cas restent assez exceptionnels. La plupart des mémoriaux reprennent à la fois et souvent dans cet ordre – tout en veillant à bien les classer chacun selon sa catégorie – les noms des combattants, des fusillés, des déportés.
Si les différents acteurs sont souvent distingués, qualifiés (“martyrs” pour les civils, “héros” pour les soldats…) ou loués d’une façon particulière, il arrive aussi qu’ils se rejoignent sous la même dénomination comme à Thibessart où parmi les “martyrs” – présentés par ordre alphabétique – se trouvent trois fusillés et deux soldats. En fait, il n’y a guère que la stèle apposée sur le mur de l’école de Villers-sur-Semois qui se contente d’un laconique “à nos morts glorieux”, sans en préciser les statuts. Cela est plutôt rare. Si l’on distingue ainsi les morts, c’est que chaque ‘catégorie’ va vouloir être considérée en tant que telle et valorisée. Cette lutte de reconnaissance pour les morts, mais aussi pour eux-mêmes, constitue pour les survivants un des enjeux existentiels de l’après-guerre. Cette mutation, véritable interpellation de la société, se marque par exemple sur les monuments à travers l’image du déporté…
Si les noms des déportés sont burinés dans la pierre, force est de constater que leur représentation sur les monuments demeure pour le moins discrète. Communément absent des statuaires ou des bas-reliefs, l’hommage au déporté ne s’exprime guère davantage dans les épitaphes. Dans les communes étudiées, seul le monument de Vance précise que ses déportés sont morts en Allemagne. Les autres se contentent de graver leurs noms sous l’appellation “déportés”. Contrairement aux fusillés ou aux combattants, aucune espèce de laïus ne semble leur être adressé. Le seul propos qui les évoque et qui s’adresse directement aux morts est l’inscription de la plaque des déportés de Tintigny, érigée en 1923. Pourtant, là encore, le texte demeure assez sobre. Cette apparente réserve des monuments est-elle fortuite ?
Peut-être, pour comprendre cette relative discrétion, importe-t-il de se tourner vers les déportés eux-mêmes ?
Au lendemain de la Grande Guerre, la situation des déportés n’est pas aisée. Ne pouvant être assimilé ni au combattant volontaire, ni au fusillé innocent, le déporté constitue un cas ‘à part’ et est plus ou moins bien considéré.
Face aux souffrances de ceux qui se sont sacrifiés de leur plein gré ou qui ont été injustement mis à mort par l’occupant, les épreuves des déportés sont quelque peu relativisées, a fortiori lorsque ces derniers ont survécu, car ceux qui reviennent paraissent plus ou moins ‘suspects’.
En outre, les attitudes des déportés peuvent être tellement variées : il y a ceux qui se sont soumis ; ceux qui ont accepté de travailler pour les Allemands et les autres, qu’aux yeux de certains, il faut nécessairement séparer le bon grain de l’ivraie.
C’est dans cet esprit que la Commission de la Reconnaissance nationale de la Province de Luxembourg adresse aux bourgmestres sa circulaire du 23 novembre 1919. Ce document précise en effet : “Des propositions peuvent toujours être faites en faveur des ouvriers déportés, pour refus de travail, qui sont décédés en Allemagne ou rentrés au pays, malades par suite des mauvais traitements subis. Pour chaque déporté que vous signalerez, vous devrez, Monsieur le Bourgmestre, joindre à l’état de renseignements une attestation établissant qu’il n’a jamais accepté de travail favorable à l’ennemi”. Plus loin, la ‘menace’ se précise : “On doit avoir posé un acte de courage ou de dévouement pour pouvoir être l’objet d’une proposition de distinction. Il ne peut donc être question de donner des récompenses honorifiques aux personnes qui ont été, sans raison d’ordre patriotique, victimes de la barbarie de l’ennemi ou qui, conduites de force au travail, se sont soumises aux injonctions de l’occupant”. En résumé, aux yeux des autorités, tous les déportés ne se valent pas. Comme le souligne une autre note administrative de 1920 : “sont exclus du bénéfice des distributions de vêtements : (…)
3°/ les civils ayant travaillé librement en Allemagne et ayant obtenu un salaire rémunérateur.
4°/ Les civils qui sont allés travailler volontairement en Allemagne (…)”.
Et de conclure : “D’une façon générale, les civils qui ont obtenu des salaires élevés ne sont pas les déportés qu’il y a lieu de secourir (…)”.
La Fédération des Déportés des provinces de Namur et de Luxembourg, qui voit le jour en septembre 1920, reste, elle aussi, très prudente quant au recrutement de ses futurs membres : est seul susceptible d’y être admis celui qui “peut justifier que, ayant agi dans le but désintéressé de servir la Belgique, [il] a pour ce motif été déporté. Si des cas spéciaux ou douteux se présentent, le conseil d’administration en décidera”. Plus loin, le communiqué ajoute : “Celui qui demande son admission accepte par le fait, d’être discuté, et même éliminé si le comité n’a pas ses apaisements”. Bref, il en va de l’honorabilité même de cette association qui se veut irréprochablement patriotique et attend patiemment le jour où, au passage des déportés, “l’on dira : C’est l’âme belge qui passe; la même pensée d’un peuple héroïque qui a souffert, qui a lutté et qui lutte encore pour le triomphe du droit par la justice, la même pensée d’un peuple qui veut la victoire complète par l’union fraternelle”. Ce rêve ne traduit-il pas une profonde soif de reconnaissance ? Pour y parvenir, une sélection des déportés semble tout d’abord s’imposer.
Y aurait-il des ‘bons’ et des ‘mauvais’ déportés ? C’est ce que semblent également insinuer les combattants d’Habay-la-Neuve qui, lors de leur assemblée générale, envisagent l’admission de deux délégués des déportés au comité du monument. Le débat s’engage. Le secrétaire des combattants, M. Servais, suggère d’admettre cette légitime demande.
Après avoir décrit les souffrances des déportés, il (dé)montre leur patriotisme et fait appel à l’union la plus complète. Sur quoi l’assemblée accepte la proposition “à condition que ces délégués soient des enfants du village, de nationalité belge et qu’ils n’aient jamais travaillé volontairement pour l’ennemi”. L’invitation émanait des combattants euxmêmes puisque quelques semaines plus tôt, l’un d’eux avait démontré aux déportés “la nécessité d’une union étroite du déporté et du combattant”. Toutefois, ces derniers vont garder la main mise sur le monument. Celui-ci ne représente-t-il pas un Jass triomphant ?
On y cherche vainement la trace de déportés. Pourtant, “Habay-la-Neuve est une des localités du canton d’Etalle qui ont le plus souffert de la déportation. Une centaine d’hommes furent déportés, quatre trouvèrent la mort dans les geôles allemandes”.
Leurs noms figurent bien sur le monument mais rien ne précise qu’il s’agit là de victimes de la déportation. Mélangés à ceux des combattants, les déportés semblent avoir été, en quelque sorte, absorbés… Est-ce là le signe de l’union étroite tant escomptée ?
Vers 1923, commence le rapatriement des corps de certains déportés. A l’instar des soldats, les dépouilles des déportés sont réinhumées aux cours de funérailles solennelles auxquelles assistent tous les habitants de la localité. La vague commence à Villers-sur-Semois où, à partir de janvier 1923, la population attend avec impatience le retour des défunts : “Elles vont donc rentrer chez nous, elles aussi, ces lamentables victimes de la déportation, de cette odieuse levée de gens sans défense accomplie au mépris de tout droit et dans des conditions de férocité qui marquent l’Allemagne au front, pour l’éternité, du fer rouge de l’infamie”. On retrouve dans ces discours le langage des martyrs et le désir de vengeance si courants à l’époque. De semblables cérémonies ont lieu à Saint-Vincent (le 31 janvier 1923 ), à Hachy (le 14 février 1923), à Etalle (le 25 février 1923)… Pour la Ligue des Déportés du canton d’Etalle, c’est l’occasion de rassembler toutes ses ligues locales afin de prendre part à l’enterrement “des restes de deux de ces malheureux camarades d’exil décédés au camp de Cassel, victimes des atrocités subies au cours de leur déportation (…)”. Fait saillant, les discours s’attardent moins sur les détails du calvaire des déportés que sur les circonstances de leur départ (lorsqu’ils ont été emmenés, tels des esclaves) et leur sort final. Il arrive que certains rescapés évoquent pudiquement la résistance des prisonniers dans les camps, leur refus de travailler, de se laisser abattre malgré le froid, la faim, la vermine… Toutefois, aux yeux de tous, le plus douloureux est l’éloignement de la terre natale. Ainsi, si beaucoup de déportés sont morts, “victimes de la barbarie, de la cruauté allemande”, ce qui frappe le plus les esprit est “la cruelle destinée de mourir en pareil exil et d’être enfermé en pareille terre maudite”. Leur retour sur le sol maternel est donc une délivrance. D’ailleurs ne se sont-ils pas, eux aussi, battus pour le Salut de la Belgique ? Dans le discours prononcé en février 1923 par M. Thiry, ancien déporté, Dieu lui-même est pris à témoin : “Dieu de Justice et de bonté, vous le savez, vous qui mesurez divinement tous les actes et les sacrifices humains, vous savez que nos frères de la déportation à Cassel ont donné leur vie pour une cause sacrée et que vous aimiez, puisqu’enfin, vous leur avez donné la victoire ici-bas. Donnez-leur la victoire éternelle pour qu’ils puissent vous offrir pendant des siècles, leur humble sacrifice en faveur de la Patrie belge”. L’âge d’or, celui de la Reconnaissance (divine) des déportés serait-il enfin arrivé ? Non pas. Il faut nuancer. Dans l’ensemble, les cérémonies de réinhumation de déportés, dans les communes analysées, ne sont pas aussi nombreuses et répandues que celles des soldats. Parallèlement, on compte moins de fêtes ou d’inaugurations de drapeaux pour les déportés. Celles qui ont lieu n’en dénotent pas moins une certaine générosité.
Ainsi, le drapeau offert aux déportés de Saint-Vincent est-il le fruit d’une souscription publique avec la participation de l’administration communale ? De telles manifestations s’accompagnant inévitablement de discours, c’est chaque fois l’occasion pour les déportés de rappeler les souffrances endurées au nom de la Mère Patrie.
Par ailleurs, à cette époque, les choses semblent bouger pour les déportés. En janvier 1923, la Ligue des Déportés du canton d’Etalle envoie une lettre au ministère des Affaires économiques au sujet du retard apporté par le tribunal des dommages de guerre d’Arlon dans certains dossiers de déportés. La réponse du ministère lui apparaissant insuffisante, elle riposte par de nouvelles revendications. Celles-ci seront enfin entendues puisque le 16 février, c’est le commissaire principal près des cours et tribunaux de dommages de guerre lui-même qui garantit que les dossiers des déportés vont être promptement examinés. Par la suite, ce succès auprès de la population et des autorités semble un peu retomber. Pour autant, les déportés ne sont pas oubliés.
Par exemple, la réinhumation des restes du dernier déporté de Vance (mort en captivité à Heidelberg) en janvier 1927 voit une forte participation de la population 51. En fait, plus que du temps qui s’écoule, la considération envers les déportés varie d’une commune à l’autre. Si par exemple, à Etalle, les déportés semblent bien représentés et leur présence souhaitée, ce n’est pas le cas partout.
Dans une lettre adressée en 1919 aux édiles de Tintigny, Edouard Claisse, ancien déporté, demande au conseil communal de tenir à l’oeil son secrétaire, M. Lamotte, qui aurait tendance à minimiser – voire carrément nier – le mérite des déportés. Ce dernier aurait en effet déclaré à son homologue d’Etalle “que les déportés ne méritaient absolument rien en fait de dommages, qu’ils s’en trouvaient bien, qu’ils gagnaient en majorité de l’argent et que par le fait ils ne méritaient aucune distinction honorifique, que comme lui avaient d’ailleurs affirmé plusieurs bourgmestres des environs, qu’ils laisseraient bien les déportés se débrouiller tout seul (sic)”. Et le signataire de faire appel à la vigilance de tous. Cette marque de dénigrement de la part du secrétaire communal – apparemment perçue par les déportés comme une provocation – les aurait-elle poussés à vouloir s’affirmer et à revendiquer l’existence d’un mémorial distinct obtenu en 1923 ? A moins que les déportés en aient eu tout simplement assez d’attendre que le monument du parvis de l’église soit terminé 53 et aient décidé d’immortaliser les leurs plus promptement.
Peut-être cette résolution s’inscrit-elle, en outre, dans l’air du temps… Rappelons que vers 1922 commence l’ère des réinhumations des soldats et des déportés que ces cérémonies tendent à glorifier… Pour les déportés de Tintigny, le temps de la Reconnaissance serait-il enfin venu ?
Toujours est-il qu’en août 1923, on peut lire dans L'Avenir du Luxembourg : “A la mémoire des déportés morts en captivité - Les membres de la section de Tintigny de la Ligue des déportés ont décidé l’érection d’une plaque commémorative qui sera inaugurée le dimanche 26 après-midi, et qui rappellera les noms des déportés de la commune morts en captivité : MM. Albert Flamion, Sylvain Lafontaine, Alfred Lahure et Joseph Rion”. La presse ne s’attarde guère sur cette inauguration alors que, justement, l’on sent chez ces déportés un profond besoin d’être pris en considération. Par contre, l’article mentionne l’absence d’un membre de l’administration communale. Il semble que cette défection ait quelque peu troublé la fête. C’est ainsi que deux semaines plus tard l’incident fait l’objet d’un communiqué dans la même gazette : “Nous recevons une correspondance relative à l’inauguration de la plaque aux déportés morts, et relevant une allusion qui visait l’absence d’un conseiller. Comme il s’agit d’un différend d’un caractère personnel, nous ne tenons pas à ouvrir une polémique à ce sujet. Disons seulement que le conseiller intéressé avait ses motifs de s’abstenir”. Perceptible dès 1919, la tension entre l’administration et les déportés de Tintigny ne semble pas encore dissipée quatre ans plus tard… Quant à l’inscription de la plaque commémorative, “Reconnaissance des déportés à leurs camarades”, elle revient pour les destinateurs à s’autoproclamer puisque, in fine, la gratitude émane des déportés eux-mêmes et non de la société. Après tout, ‘on n’est jamais si bien servi que par soi-même’. Cependant, on peut se demander si une telle reconnaissance, octroyée entre semblables, est, en fin de compte, efficace.
En tout cas, il est évident qu’elle est beaucoup moins forte et bien moins satisfaisante. Quoi qu’il en soit, dans cette localité, le sort des anciens déportés ne semble pas s’améliorer avec le temps. Au début des années trente, ils se perçoivent comme peu ou mal considérés et demeurent insatisfaits. Plus étonnant, les anciens combattants de Tintigny ne se sentent pas non plus reconnus alors que sur le plan national, ils le sont ! Nous pourrions longuement nous interroger sur ce paradoxe. En tout cas, les anciens combattants et les anciens déportés de Tintigny vont se réunir dans une même association. C’est ainsi qu’ en 1930, en signe de protestation, la section des combattants et des déportés de Tintigny “considérant la mauvaise grâce avec laquelle en haut lieu les revendications légitimes des Anciens Combattants et Déportés sont examinées décident à l’unanimité des membres présents de ne participer à aucune fête du Centenaire, si satisfaction n’est pas accordée, et passe à l’ordre du jour”. Plus de dix ans après la fin de la Grande Guerre, des blessures restent donc ouvertes et les aspirations des rescapés semblent loin d’être toujours rencontrées.
Coïncidence ou non, sur plusieurs stèles, les noms des déportés surgissent en dernier. En tout cas, pour eux, la reconnaissance officielle et sociale sur le plan national comme local ne paraît pas directement acquise, voire aller de soi. Somme toute, une certaine défiance quant à leur patriotisme peut parfois rester de mise, alors que les combattants et les fusillés recueillent, eux, tous les hommages… mais ne semblent pas non plus rassurés.
A travers les différentes sources examinées ici, il semble, finalement, que la place du
déporté au lendemain de la Première guerre ait été complexe et, en définitive, peu enviable. Après avoir été emmené dans des camps, avoir connu l’exil et subi de mauvais traitements, le voilà obligé de justifier ses souffrances. De prouver qu’il a été un ‘bon déporté’. Car, comme l’affirme cette circulaire de 1919, seuls les bons déportés seront reconnus : “Il y a lieu de ne pas perdre de vue que tous ceux qui furent exilés fin 1916, l’ont été parce qu’ils n’ont pas voulu travailler contre leur patrie, aussi les déportés de cette époque qui malgré les dures privations et les tortures qu’ils subirent dans les camps et les kommandos allemands ont toujours maintenu leur refus de travail, doivent être signalés à la Commission de la Reconnaissance Nationale”.
Cette reconnaissance ne va pas sans mal.
Dans les archives communales de Tintigny, nous avons retrouvé deux exemples de “certificat de déportés”. Tous deux datés du 28 septembre 1919, ils sont chacun co-signés par deux témoins et le bourgmestre de Tintigny 58. Sur le premier document, on peut lire : “Le soussigné Noël Guillaume déclare que Mr Arthur Robert a partagé sa nourriture avec moi-même, alors que lui-même se mourrait de faim. Camp de Cassel (Allemagne). Certifié exact”. La seconde pièce est un peu plus détaillée puisque le même Noël Guillaume “déclare reconnaître que Mr François Collignon a agi en vrai père de famille. Motifs : répartition : pains et soupe. Charbon et bois. Propagande pour la défense du travail volontaire, expulsion des marchands d’hommes hors des baraques.
A subi également le traitement du fameux Lazarett de Cassel pour refus de travail (Camp de Cassel). Certifié exact”. Bref, de ces documents, il ressort que la reconnaissance aux déportés n’est octroyée qu’après avoir pris quelques précautions sous la forme d’ une petite ‘enquête’ locale.
En définitive et dans ces conditions, on peut comprendre que certains anciens déportés se soient sentis plus ou moins suspectés, ou, pour le moins, non reconnus à leur juste valeur, puis, en quelque sorte, lésés ou laissés pour compte : d’où leur combat afin d'obtenir une véritable reconnaissance.
Dans la même optique, et pour terminer, remarquons qu’il est tout aussi malaisé d’expliquer pourquoi certains anciens combattants ont partagé ce sentiment de rejet. Car dans les faits, tant sur le plan national que local, les combattants ont pu jouir d’un prestige avéré ainsi que d’une reconnaissance officielle. C’est là un étrange paradoxe qui amène à s'interroger sur le fonctionnement même de la reconnaissance sociale.
Sur ce point, l’histoire des mentalités a encore beaucoup à nous apprendre.
Plus d'info à propos du document original (Le déporté de la Grande Guerre...) : ici
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Lorsqu'on voyage dans les alentours de Le Cateau-Cambresis, on est surpris par le nombre de petits cimetières britanniques disséminés tout autour de la cité...
° Bref historique
Après la bataille de Mons, et, suite à l'échec français de repousser les Allemands en Belgique, les hommes de la Force Expéditionnaire Britannique sont contraints de se replier sur la France, d'où ils étaient arrivés.
A hauteur du Cateau, les Anglais décident de stopper leur retraite, de faire face et de contrer l'avancée allemande, alors qu'ils sont numérairement inférieurs aux Allemands. Nous sommes alors, le 26 août 1914, quelques 3 à 4 jours, seulement, après le premier choc qui a eu lieu lors de la bataille de Mons (ici), à moins de 60 km de là, plus au Nord...
Au prix de lourdes pertes, - 7.800 hommes -, ils parviennent toutefois à ralentir l’avancée ennemie, protégeant ainsi la retraite des forces franco-anglaises, qui arriveront finalement à stabiliser le front, "un peu" plus au Sud / Sud-Ouest, en bordure d'Arras, de Soissons, de Reims...
° A propos de ce qui deviendra, plus tard, Le Cateau Military Cemetery...
En février 1916, faute de place, dans le cimetière municipal du Cateau-Cambrésis, qui compte déjà 150 sépultures de soldats britanniques, les Allemands prennent la décision d'enterrer les soldats anglais aux côtés des leurs, sur les hauteurs de la cité.
Au sortir de la guerre, et, pour ce que les Ecossais s'y seront battus afin de reprendre la ville aux Allemands, en octobre 1918, ce seront finalement 698 tombes de soldats du Commonwealth qui se retrouveront aux côtés de celles de plus de 5.000 soldats allemands... mais aussi de 34 prisonniers de guerre russes.
Initialement constituée de plus de 5.000 croix noires, la parcelle allemande s'est vue harmonisée à l'ensemble de la nécropole, par l'adoption récente de croix ou de stèles blanches et massives.
Bordant le fond du cimetière, une lignée de plaques plantées verticalement dans le sol, de granit noir, reprend, gravées en creux, les références de soldats allemands provenant de 53 lieux d'inhumation éparpillés dans le secteur.
Au total, ce sont 5.381 soldats du Kaiser Guillaume II qui reposent dans cette nécropole placée sous les bons auspices de la Commonwealth War Graves Commission.
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Adresse : route de Montay
F. 59360 Le Cateau-Cambrésis
Office du tourisme du Cateau (ici)
Plus d'info : (ici)
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Pour info complémentaire : www.horizon14-18.eu
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Pour la période des vendredi 21, samedi 22 et dimanche 23 août 1914…, le bilan officiel de ces journées tragiques, à Tamines, fait état de 613 victimes civiles dont 384 tués…
Et, parmi ces derniers, on relève : 315 fusillés ; 40 noyés ; 13 carbonisés et des tués hors fusillade ou suite aux évènements...
Le massacre de civils à Tamines, et un peu plus à l’Est, passé Namur, en direction de Liège, à Andenne, est étroitement lié à la bataille de Charleroi, mais aussi au fait que les Allemands accusèrent, pour justifier leurs méfaits, des civils mêlés à des soldats français du Xe corps d’armée d’avoir tiré sur leurs troupes, comme l’avaient fait, ma foi, auparavant, en 1870, certains francs-tireurs français de la région de Sedan.
De ces évènements du début de la guerre de 14, les populations belges et d’ailleurs conserveront longtemps en mémoire, à l’égard de l’envahisseur allemand, l’image d’un être barbare et assassin de femmes, d’enfants et d'hommes sans défense, pour ce qu’il aura systématiquement et méthodiquement assassiné des innocents désarmés tout au long de la traversée et de son occupation de la Belgique.
Située dans un des méandres de la Sambre, Tamines se trouve au Sud-Est de Fleurus, entre Jemeppe-sur-Sambre et Châtelineau ; plus près de Charleroi que de Namur, dans le même axe Ouest-Est.
Alors que le général von Kluck se concentre sur Mons, en direction de Paris, le général von Bülow, à la tête de la deuxième armée allemande, poursuit sa route vers la Basse-Sambre, en direction de Namur et de Charleroi.
Le 12 août, il arrive à Huy ; le 20 à Andenne, où il fait fusiller 200 civils. Le jour d’après, il se rend à Tamines, et face à la 19e division d’infanterie française, une composante de la Xe armée, mais aussi à un reliquat de gardes civiques belges postés à Charleroi.
C’est vers 6 heures du matin qu’une patrouille de cinq éclaireurs à cheval (Uhlans) arrive à Tamines par la route de Ligny. Un des cavaliers est blessé par un tir français, et, les quatre autres s’en vont chercher main forte auprès de leurs arrières. Une heure plus tard, trente cavaliers accompagnés de cyclistes investissent les lieux en même temps que des troupes arrivent en renfort.
Vers 13 heures, la bataille fait rage du côté d’Auvelais, de Velaines et d’Arsimont. Français et Allemands s’opposent par des duels d’artillerie. Les canons allemands sont postés à Velaine et à Alloux. Les Français, peu nombreux en effectifs par rapport aux Allemands, répliquent au départ de Tamines et d’Arsimont. Côté français, les ponts enjambant la Sambre, à Tamines, Auvelais et Farciennes, sont ravitaillés depuis la gare de Tamines ; de faibles effectifs y sont stationnés, afin de ralentir la progression allemande.
Poussant devant eux des civils, des Allemands franchissent, en fin d’après-midi, la Sambre, alors que ces mêmes civils dégagent les sacs de sable et autres engins ou véhicules qui encombrent le pont.
Face aux tirs nourris des Français, les Allemands se retirent, au prix de lourdes pertes, et, en début de soirée, Tamines voit arriver un flux constant de soldats allemands venus en renfort. Bon nombre de maisons du village sont incendiées.
Vers deux heures du matin, les envahisseurs s’élancent à nouveau au combat, en direction du pont et de l’armée française qui leur fait face. Ces aller-retour seront accompagnés de duels d’artillerie, jusqu’au samedi, en début d’après-midi.
Face aux coups de butoir allemands, alors que les civils décident de rejoindre le centre du village, afin de se protéger des tirs qui criblent leurs demeures ou les font voler en éclats, les Français décident de quitter les lieux par le Sud.
Six cents Allemands seront mis hors de combat, lors de ces échanges meurtriers…
Alors que la bataille fait rage, de l’autre côté du pont, et que les Français font retraite, les civils sont rassemblés dans le village, par petits groupes séparés et constitués de femmes, d’enfants ou d’hommes.
Ceux-ci sont regroupés, escortés de soldats, en l’église Notre-Dame des Alloux, dans Tamines, après avoir été conduits sur les centres d'opération (postes d'artillerie) où ils auront eu à subir des simulacres d'exécution sensés les terroriser....
Entassés dans l’église, les villageois se demandent s’ils seront fusillés ou brûlés vifs dans l’édifice…
En un autre endroit du village, un ensemble de 150 personnes se constitue ; groupe qui continuera d’augmenter en nombre le jour suivant.
Vers 16 heures, les Allemands investissent les bâtiments scolaires où se sont réfugiés les civils ; ces militaires y installent leurs blessés au combat.
A l’église, vers 19 heures, et, après avoir séparé femmes et enfants et les avoir déplacés dans un bâtiment voisin, un officier annonce, en allemand, que certains seront fusillés.
Plus ou moins 600 hommes sont poussés hors de l’église par la troupe, au milieu du village ravagé par les flammes.
L’ordre est donné de constituer un rang, ‘à quatre de front’. Le cortège est emmené en direction de la place Saint-Martin qui jouxte la Sambre ; des jeunes garçons mêlés au groupe, sont extraits des rangs. Trois prêtres accompagnant la formation sont injuriés et frappés à coup de crosse par les soldats formant l’escorte ou par d’autres qui assistent "au spectacle".
Ces hommes venus de l’église des Alloux sont dirigés en deux groupes distincts, et, ensuite, tenus de s’aligner parfaitement le long de la Sambre.
Là...
Un très long peloton d’exécution, à cinq hauteurs de fusils superposés, fait face aux civils qu’un officier accuse une nouvelle fois d’avoir tué des soldats allemands. Ce même militaire ordonne que le groupe scande "vive l’Allemagne" ; "vive l’empereur" ! A cet ordre, par peur ou par désespoir, certains obtempèrent…
Il est vingt heures quand un premier coup de sifflet retentit et que dans la fusillade et sous les balles, les hommes se jettent par terre. Alors que les premiers coups semblent avoir peu porté au but, les soldats s’avancent vers les hommes au sol, pour les faire se relever. A peine debout, une seconde salve, soutenue par une mitrailleuse postée sur le pont, vient faucher le mur humain en son extrémité. Les soldats tirent de manière sporadique et irrégulière sur les hommes encore debout.
Certains membres du groupe arrivent à sauter dans la Sambre, indemnes ou presque. Le peloton d’exécution se disloque, pour faire place à un ensemble de soldats portant un brassard de la Croix-Rouge, et, venant de l’église.
Ces derniers sont munis de fusils, baïonnette au canon, de gourdins, de haches et d’autres outils de fortune. De nombreux blessés, reconnaissant les brassards, en appel à l’aide à ces "infirmiers venus les aider", pensent-ils (!)…
L’abbé Donnet témoigne... Il y eut dans l’opération, deux parties bien distinctes. Ils se mirent tout d’abord à tuer à tort et à travers, dans le tas. Ils longeaient le monceau, l’escaladaient, passaient sur les morts, sur les blessés, sur les mourants, et s’acharnaient sur tout ce qui paraissait âme vivante. (…) Pour leur terrible besogne, les ambulanciers et les soldats se servaient de toutes sortes d’instruments. D’abord et surtout de la baïonnette : ils l’enfonçaient partout, dans le monceau de chair humaine ;certains ont été transpercés qui étaient en dessous de plusieurs cadavres ;(…) Ils frappaient aussi de la crosse des fusils ; certains avaient de grosses bûches de bois, des barres de fer : j’en ai revu et retrouvé le lendemain à côté du carnage, toutes couvertes de chair, de cervelle et de sang. Enfin, j’ai entendu aussi donner sur les blessés des coups de cravache. (…) Nous arrivons ici, si je puis dire au clou de la cruauté. Les soldats opéraient à deux ; ils saisissaient les victimes une par une, examinaient si elles étaient en vie, puis les achevaient à coups violents et répétés de baïonnettes. …Après,…, ils les jetaient dans la Sambre.
Emile Leroy aussi, blessé par ces soldats chargés d’achever les blessés : Du premier coup il me transperce le bras gauche de part en part ; le second plus furieux est porté en dessous du sein gauche
- et c’est grâce à un calepin que j’ai en poche, et qui est transpercé d’outre en outre, que le cœur n’est pas atteint. Je reçois un troisième coup dans le flanc droit, après quoi, craignant que les coups ne m’atteignent à la figure ou dans le ventre, d’un effort surhumain, je me retourne. Exaspéré sans doute, mon bourreau me lance un terrible coup de son arme; celle-ci pénètre dans le côté gauche du cou en dessous de l’artère carotide pour traverser une partie de la gorge et ressortir en dessous du menton - j’ai très bien senti le fer remuer dans la plaie, je l’ai même touché de ma main. Ayant retiré son arme de la blessure la brute m’offre le "coup de grâce" et me donne un coup formidable de crosse de fusil dans la nuque ; puis il m’abandonne croyant sans doute m’avoir tué. Il se trompe, je vis encore et j’ai toujours ma présence d’esprit. Cependant je perds mon sang ; craignant d’attirer à nouveau l’attention je n’ose faire aucun mouvement. Par un effort suprême de volonté je réussis cependant en usant de précautions - à nouer mon mouchoir de poche autour du cou pour essayer d’arrêter l’écoulement du sang car je me rends parfaitement compte que cette blessure est la plus grave de celles que j’ai reçues. Je viens à peine d’achever que j’entends tout à coup cette bande de sauvages qui revient à la charge ; la nuit est venue et pourtant je vois très bien qu’ils sont armés de pièces de bois ; à tour de bras ils frappent à nouveau dans le tas…, j’entends les coups qui martèlent les crânes. Au moyen de petites lampes électriques, ils inspectent leurs victimes, et celles qui se plaignent et elles sont nombreuses ; elles sont prises à bras le corps et jetées à la Sambre. (…) C’est alors que soudain je sens la botte d’un de ces bandits qui touche ma figure, il est là debout près de moi… Quelques minutes d’attente qui me paraissent un siècle, et il s’en va…"
L’ensemble des survivants s’accordent pour dire que le massacre a duré une grosse heure.
Traîné en dehors du groupe, l’abbé Donnet fut laissé pour mort, à côté de deux sentinelles.
Plusieurs hommes s’enfuiront à la nage en direction de fermes voisines de l’endroit du carnage. Certains moins amochés iront puiser de l’eau dans la Sambre, pour en donner aux plus mal en point, se plaignant, gémissant…
Le lendemain, au petit matin, se pose la question aux Allemands de savoir que faire des survivants…
Deux choix s’offrent à eux :
-emmener les survivants à Fleurus, près de Tamines ;
-reconstituer un peloton d’exécution…
Un témoin raconte… Semblant ému par ce qui s’est passé, un des deux médecins présents, à qui je demandai pour fumer : Il alla chercher des cigares. Il alla ensuite à sa gibecière, prit une galette et la donna à un blessé qui se trouvait à proximité : J.-B. Demoulin (qui n’a pas survécu, il est mort sur la place même). Je lui demandai aussi s’il n’avait pas dans sa gourde de l’eau de vie ; il me la présenta et j’en donnai à boire à J.-B. Demoulin. Cet acte humanitaire lui valut une scène de reproches et de colère de la part du corps de garde de l’église.
Après neuf heures trente, il est demandé au restant de la population demeurée la nuit à l’école des frères et en l’église des Alloux de se diriger à quatre de front, en deux groupes séparés : femmes et enfants d’un côté ; hommes de l’autre.
La colonne des hommes se dirige sans savoir à quoi s’attendre, vers la place Saint-Martin, au Sud du village. Le groupe des femmes et des enfants se dirige peu de temps après, dans la même direction que les hommes, au même endroit.
Arrivés sur place, les premiers hommes découvrent avec stupeur les survivants du massacre, ainsi que les morts, fusillés ou ceux retrouvés carbonisés ça et là dans le village et entassés, là.
Au moment où arrivent les femmes accompagnées des enfants, la place est bondée de soldats allemands, quand s’offre à eux le spectacle affreux de ces hommes dégageant une odeur épouvantable, du fait de leur état physique et de la période estivale.
Sous la menace des baïonnettes, ils resteront jusqu’aux environs de midi, pour qu’enfin arrivent, en auto ou à cheval, des officiers de haut rang… pour qui on dresse une table, afin qu’ils s’abreuvent et mangent. Celà, à proximité du lieu de la fusillade. Après eux, le restant de la troupe se relaya à table ; bien saouls, ensuite, ils lancèrent leurs flacons vides sur les survivants, spectateurs, malgré eux de la scène…
Début d’après-midi, porteurs d’un message de l’état-major, des officiers ordonnent que soient enterrés les suppliciés, non loin de l’endroit de l’exécution.
Une quarantaine de volontaires, à qui on a distribué des outils, se mettent à creuser une fosse de 10 mètres de long sur plus ou moins 6 de large.
Une nouvelle équipe, constituée d’hommes, est ensuite chargée de ranger les cadavres dans la fosse, ce lieu de sépulture improvisé. Afin d’activer la manœuvre, certains rescapés de la fusillade sont appelés en renfort, afin de donner un coup de main à l’ensevelissement des morts.
L’endroit est béni par le chanoine Crousse.
Il est 17 heures, lorsqu’est donné le coup de sifflet pour le départ.
Les hommes sont à nouveau obligés de se mettre en rang, à cinq de face, cette fois ; les femmes sont autorisées à suivre les hommes. Les blessés légers de la fusillade ont l'obligation de compléter les rangs ainsi formés.
Les plus gravement atteints seront soignés, plus tard, par le docteur Defossé.
Le groupe remonte vers le Nord, via la rue de la Station, en direction de Velaine.
A la question d’un soldat qui regarde le convoi passer, de savoir où se dirige le groupe, il est répondu par un autre militaire que celui-ci est en partance pour l’exil…
Les Allemands libèreront finalement leurs otages, passé le bois, à Velaine.
A Tamines, les blessés les plus gravement touchés seront pris en charge par les religieuses du couvent des sœurs de la Providence et de l’Immaculée Conception.
Vidée de la grande majorité de sa population, Tamines, pour ce qui reste debout de la cité, sera pillée systématiquement.
Au total, 300 maisons seront incendiées.
Le village compte le triste record de 40 victimes ayant moins de 21 ans ; pour la plupart, des hommes.
Dans les 20 premiers jours de la guere, en Wallonie, 5.000 civils seront tués et 15.000 habitations détruites.
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A vous, de passage...
Merci de vous êtes arrêté(s), le temps d'un instant, sur mon blog...
A voir : www.horizon14-18.eu !